Injustement méconnu du public, Jean Vendome a révolutionné le monde du bijou, l’érigeant au rang d’art, au cours d’une carrière longue de soixante-sept ans. Auteur d’un fabuleux répertoire, riche de plus de 30 000 bijoux singuliers – souvent uniques –, il n’a cessé, en véritable artiste, de décloisonner les frontières entre la sculpture, la photographie, la peinture et le monde du bijou.
Une seule et unique ambition : réinventer les formes et sublimer la beauté naturelle des pierres.
Il y a quelques années j’avais rencontré Jean Vendome. Pousser la porte de son atelier, c’était en effet prendre le risque d’être ébloui… Et l’éblouissement a été total. Un hommage.
Jean Vendome était un créateur qui a révolutionné (et le propos est faible) l’expression artistique de la joaillerie dans le monde. Peut-être pour la première fois ici, nous avons décidé de laisser parler les spécialistes.
Il était une fois un enfant précoce
Envoyé dans l’Aisne pour se refaire une santé, le jeune garçon trouve sa voie. Un jour, il récupère dans un champ un bout de carlingue d’un avion écrasé. Il martèle la tôle, la transforme… jusqu’à y faire apparaître le visage du Christ. Pour le futur joaillier, qui prendra plus tard le nom de Vendome, cette métamorphose agit comme une véritable révélation.
Parlons maintenant de Jean Vendome: Une « pépite » pour Cocteau
Nous sommes à Paris vers 1950 et Jean Vendôme, joaillier vient d’ouvrir une nouvelle boutique au 81 boulevard Voltaire (Paris 11) après avoir quitté le 2 rue Feutrier. Un homme de 20 ans qui évite la monotonie : répéter le même schéma des centaines de fois n’est pas pour lui. Il pense à l’automobile, à la voile et aux possibilités offertes par les nouveaux matériaux comme le plastique… Mais un jour, Jean Cocteau franchit le seuil de son atelier-boutique avec une pièce d’or en poche. Le poète demande au bijoutier de fabriquer un bijou. Pour Vendôme il y a une révélation : pour Cocteau il y a deux manchettes ! Repoussant les limites du savoir-faire, l’orfèvre soude des fils d’or en poudre de borax, puis façonne la matière précieuse fondue, martèle et polit le tout au niveau des parties saillantes. Cocteau est sous le charme. Cette rencontre inspira Vendôme à créer la série « Pépite », son premier coup d’éclat en 1952 : « Je m’intéressais à l’or, dit-il. Je voulais absolument travailler avec cette matière mythique, mais pas avec de la limaille ou un fil d’or, comme c’est habituellement le cas chez les joailliers. J’ai eu envie de manipuler de grosses pièces de métal jaune, rouler ces alluvions entre les doigts, faire rebondir la lumière sur ces reliefs miniatures pour en éclairer les deux faces. »
Nous avons choisi arbitrairement de vous présenter certaines de ses centaines de créations. Au centre d’une exposition rétrospective en 2021 à l’école des Arts joailliers (Paris) l’ensemble de son œuvre riche de 70 années nous a été présenté par Madame Cassius-Duranton..
Les bijoux
Vers 1953, Jean Vendôme rencontre Paul-Émile Victor, un explorateur polaire, venu dans son atelier pour réparer une montre. S’il n’a pas encore visité la terre Adélie à la frontière de l’Antarctique, le scientifique a foulé de nombreuses fois le sol du Groenland, terre mystérieuse et inconnue. En racontant ses voyages autour du monde La ligne « Boréal » a été créée. Cette fois, entre or blanc, diamants et aigues-marines, sobriété et lignes épurées priment. Jean Vendôme songe à ces icebergs qui fondent. C’est la lumière éclatante de la glace, ses courbes et ses déformations, que l’artiste-artisan tente de capter.
Comme le disait Baudelaire, « La beauté est toujours étrange ». La formule marche particulièrement bien pour Jean Vendome, qui travaille des bijoux aux matières inhabituelles, comme les coquillages ou les carapaces de crabe. Toujours à la recherche de nouveauté, il n’hésite pas dans les années 1960 à répondre à l’audacieuse commande d’Yvonne de Gaulle d’acheter des bijoux pour son mari. Ainsi, il réalise vers 1965 des boutons de manchette pour le Général, que l’on n’a jamais vus auparavant : un cercle d’os de dinosaure pétrifié, façon Medallion Art, en or jaune ! Yvonne de Gaulle a fait un choix audacieux ! Pour l’artiste-inventeur du bijou moderne, une façon poétique de relier le passé (ici plusieurs millénaires) et le présent. C’est aussi une façon d’explorer la beauté cachée, l’os est ce que vous portez au plus profond de vous, une substance minérale qui nous rappelle que nous sommes aussi des créatures de la nature.
Son fils
Revenons à Jean Vendome
« Au lieu d’être mousquetaire, je suis académicien et je suis content d’avoir une pièce de musée », disait l’auteur Roger Caillois lors de son entrée dans la coupole le 20 janvier 1972. Après que Jean Vendôme ait fabriquée l’épée de ce remarquable académicien, notamment avec un cristal de tourmaline bleu-vert et un quartz dendritique, une amitié durable s’est établie entre le joaillier et amateur de rock Roger Caillois. Roger Caillois passait des heures à regarder le travail de son complice, dont il admirait la créativité, et ses amis rencontraient souvent sa femme pour le dîner. Broches, pendentifs en opale, quartz, améthystes, agates… La relation est si intense que tous les bijoux que porte Aléna Caillois sont signés Vendôme. L’un des plus beaux témoignages en est ce collier dont le volume met en valeur la tourmaline « pastèque » dans des tons allant du rose au vert.
Parmi les neuf épées fabriquées pour les académiciens par Jean Vendôme, l’épée commandée par le docteur oncologue Lucien Israël évoque plusieurs symboles intimes. Sur le manche en argent, une topaze croise un crabe doré, image de la médecine qui vainc le cancer. Sur le manche, Jean Vendome dessine une pointe en or qui laisse apparaître un quartz vieilli : symbole des écrits de Lucien Israël. On retrouve cette fois une autre métaphore à l’intersection du manche et de la lame : trois quartz « habités », des minéraux qui au cours de leur croissance « captent » d’autres minéraux visibles par transparence. Ils reflètent la passion de Lucien Israël pour le métier d’oncologue, une vocation qui « l’habite ». Enfin, un quartz rutile à six pointes (l’image de l’étoile de David) est fixé au-dessus des barbelés et le chiffre est tatoué sur le bras de Germaine Bach, épouse du survivant d’Auschwitz et figure de la résistance Lucie Israel.
Gérard Flamme